Il n’abdiquera pas. A une semaine du premier tour de la présidentielle, Benoît Hamon n’a jamais été aussi loin du quatuor de tête. Détendu, sous la verrière d’un ex-atelier du Xe arrondissement de Paris retapé en espace de coworking, lieu de son QG de campagne, le candidat PS explique à Libération pourquoi sa candidature reste «utile», critique Macron et Mélenchon et commence déjà à régler quelques comptes au PS.
Le 13 février, vous avez dit : «Hamon est le nom de mon père, de mon grand-père et je ne veux pas que mon nom et celui de mes enfants soit associé à la débâcle de la gauche où à la victoire du FN.» Deux mois plus tard, votre nom ne risque-t-il pas d’être associé à une défaite historique ?
Non. Je suis un combattant. Que ce soit bien clair, je suis en campagne jusqu’au bout pour convaincre et éviter que les électeurs soient tentés de choisir un «bon candidat», alors que l’enjeu est de choisir un bon président. Je suis confiant dans le fait que c’est l’intelligence et pas l’émotion ou les sondages qui guideront le choix des électeurs de gauche.
Pourquoi ne pas se ranger derrière Mélenchon pour donner une chance à la gauche d’être présente au second tour ?
D’abord, la politique, ce n’est pas de l’arithmétique. Ensuite, ce combat que nous menons séparément ira jusqu’au 23 avril parce que, je le dis, on ne gouverne pas ou on ne reconstruit pas la gauche sur la sortie de l’Europe. Qu’elle gouverne ou qu’elle soit dans l’opposition, la gauche ne peut pas proposer aux générations futures d’envisager son destin hors de l’UE.
Il y aura donc bien un bulletin Hamon…
Bien sûr qu’il y aura un bulletin de vote Benoît Hamon ! La France a besoin de la gauche que je représente : sociale, écologiste, européenne et ouverte. Celle qui a apporté l’essentiel du patrimoine des droits sociaux et démocratiques de notre pays. Vous savez, des milliers d’élus locaux, des milliers d’activistes, de citoyens me soutiennent. Ce sont des gens qui font le boulot et ils m’importent plus que d’autres.
Revenons un peu en arrière. Votre meeting de Paris Bercy a été salué comme un succès, mais il n’a créé aucune dynamique. Comment l’expliquez-vous ?
Parce que j’ai été moins bon dans le débat télévisé du lendemain, j’avais probablement perdu mon influx la veille. J’ai aussi privilégié la démonstration sur mes propositions, de manière parfois trop académique. Peut-être ai-je oublié que nous étions ce soir-là dans ce que Guy Debord appelait «la société du spectacle»… Finalement, dans ce débat, il importait davantage de montrer en quoi le candidat avait les «bons mots» que de laisser à voir en quoi le président serait compétent.
C’est un regret ?
Je fais une campagne qui parle à l’intelligence des citoyens. Pour moi, la question aujourd’hui pour la gauche est moins de se lover dans une fable nouvelle que de dire le projet politique qui est le sien. Des fables, on en a écrit beaucoup et nos bibliothèques en sont remplies. Je ne parle pas à des «foules», dans un rapport césariste au peuple, je parle à des citoyens, dans leur singularité.
Les deux débats télévisés ont probablement été décisifs dans cette campagne. Comment l’expliquez-vous ?
Seul le vote est décisif. Le premier débat a eu lieu à un moment où les électeurs étaient incertains. Les messages portés par Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ont correspondu à une disponibilité des Français de gauche. Pourquoi ? Parce que le pays est au bord de la crise de nerfs. Parce que les électeurs sont déboussolés. Parce que les comportements n’ont jamais été aussi erratiques… Encore que certains dirigeants socialistes partis chez Macron, eux, sont cohérents ! Ce n’est pas surprenant de voir Manuel Valls ne pas respecter la démocratie puisque c’est l’homme du 49.3. Il y a d’ailleurs un point commun entre la gauche de Valls et celle de Mélenchon : la question démocratique.
Pourquoi Mélenchon ?
Il fait preuve de beaucoup d’indulgence, en matière de politique étrangère, à l’égard de pays qui restreignent les libertés publiques. Toute cette zone grise qu’il a volontairement entretenue sur la Russie de Poutine et sur Al-Assad participe de la confusion de notre époque.
Pourquoi alors avoir décidé un pacte de non-agression avec lui ?
Mes adversaires sont Marine Le Pen et François Fillon. Mélenchon n’a occupé qu’une fraction minime de mon temps de parole. Sauf sur la question européenne, pour m’en distinguer. Mais je ne peux pas avoir fait ma campagne sur un futur désirable et faire l’impasse sur le fait qu’il propose de sortir de l’Europe et de l’euro ! Ce n’est pas désirable du tout.
Vous ne croyez pas au plan A de Jean-Luc Mélenchon, la renégociation des traités européens ?
Non. Si le plan A était raisonnable peut-être. Mais il ne l’est pas ! Le passage d’une Europe allemande à une Europe française, personne n’y croit. Cette stratégie est vouée à l’échec. Et si c’est le plan B [la sortie de l’Europe, ndlr], comment fait-on, demain, pour appliquer son programme national ? Prenons un sujet : l’écologie. Je ne doute pas que Jean-Luc soit aussi écolo que moi, mais comment fait-on demain pour engager la conversion écologique de l’économie à l’échelle nécessaire pour qu’elle ait un impact sur le réchauffement climatique ? Si nous ne le faisons pas à l’échelle européenne, il n’y a pas de transition écologique donc pas de lutte contre le réchauffement de la planète. Avec quel fonds, demain, finance-t-on la transition énergétique sans Banque européenne d’investissements ? Son plan B, c’est une feuille blanche. J’ai une démarche différente : je propose un traité de démocratisation de la zone euro avec Thomas Piketty, et des juristes qui ont bossé ! C’est du concret. J’ai le soutien de Martin Schulz et du SPD allemand. Au passage, je rappelle que le très conservateur M. Schäuble, en Allemagne, soutient M. Macron. Si vous voulez un brevet d’austérité, le voilà : il a mis un tampon pour dire «le jeune Macron, c’est le gars qu’il nous faut». Et après on nous parle de «renouvellement» ? C’est une autre fable de cette campagne…
Vous faites référence à la sortie de François Hollande : quelle a été votre réaction à ce soutien à peine voilé ?
On a passé assez de temps à commenter les soutiens francs, alors les soutiens «voilés»… C’est trop compliqué pour moi. Je fonce pour faire gagner la gauche qui veut gouverner en restant de gauche.
Pendant cette campagne, vos propositions sont apparues en décalage avec les attentes - notamment de l’électorat de gauche - sur l’emploi, le pouvoir d’achat…
Le revenu universel concerne directement le pouvoir d’achat. Sur l’emploi, j’entends la critique sur la confusion qui a pu s’installer. Mais il a fallu lutter contre toute une série de vents contraires ! J’ai été accusé de vouloir préparer une «société du farniente» par une partie de mes amis politiques. Mais enfin je ne veux pas «la fin du travail» ! J’ai expliqué qu’il y aurait une raréfaction du travail si nous n’anticipions pas les transitions. Cela nécessite de regarder les secteurs dans lequel le travail va disparaître et imaginer les solutions dans des secteurs où le numérique bouleverse tout. Ainsi, je propose de créer un million d’emplois, en investissant dans les secteurs qui en ont besoin - énergies renouvelables, services à la personne, santé, éducation, industrie… - en réservant aussi 50 % de la commande publique aux entreprises locales, qui compenseront les dizaines de milliers de suppressions d’emplois dans des secteurs où les machines, les algorithmes, l’intelligence artificielle remplacent déjà les hommes.
De plus, pendant ce temps-là, nous avons été mobilisés par le feuilleton qui tenait du supplice chinois consistant à organiser mon affaiblissement : celui des défections. Cela n’a pas changé mon axe de campagne mais a perturbé les électeurs.
N’étiez-vous pas, vous aussi, méfiant à l’égard du PS ?
A l’égard de certains de ses dirigeants. Je n’avais peut-être pas tort, non ?
Que dites-vous aux électeurs de gauche tentés par le vote Macron ?
Son agenda économique et social se situe dans les clous du dogme austéritaire bruxellois. Il n’a aucune ambition en matière environnementale. Si son projet, c’est «et de droite et de gauche», où sont les «consciences» de gauche pour lui dire que, sur la question du droit du travail a minima, on ne procède pas par ordonnances après le traumatisme qu’a été le 49.3 sur la loi travail ? Laurent Berger [le patron de la CFDT] s’en est ému. S’il subsiste un tout petit peu de conscience politique à tous ces dirigeants qui se disent de gauche et soutiennent Macron, où sont-ils ? Voilà un homme qui dit «vive la négociation sociale !» mais met fin au paritarisme. C’est de l’imposture. Emmanuel Macron n’est pas prêt à gouverner. Prenez ses propos sur la colonisation : dire à Paris, dans un livre, qu’il y a du bon et que c’est un «crime contre l’humanité» quand on est à Alger, où est la vérité ? Lorsqu’il est dans l’avion au-dessus de la Méditerranée ? Où est le vrai Macron ? Les dirigeants qui soutiennent Macron ont brûlé leurs derniers vaisseaux. La gauche favorable à la fin de l’ISF, au contrôle des chômeurs, à l’augmentation de la CSG, à la retraite par points, à la fin du compte pénibilité… Ce n’est plus la gauche.
La CSG a été inventée par Michel Rocard… Ce que propose Macron pourrait être de gauche aussi ?
Je ne suis pas favorable à ce qu’une augmentation de la CSG finance la baisse de l’ISF.
Non… Dans son programme, la hausse de la CSG financerait des baisses de cotisations des bas salaires.
Peut-être. Mais je conteste le fait que les 6 millions de personnes qui ont des retraites tout juste supérieures à 1 400 euros vont être directement touchées par la hausse de la CSG ! Lorsqu’on continue à défiscaliser les actions gratuites, quand on veut baisser l’ISF, baisser de 60 milliards d’euros la dépense publique, oui, ce sont encore les mêmes qui paieront. Il y aura moins de services publics, moins de protection sociale. Avec Emmanuel Macron, les classes moyennes et populaires seront plus faibles dans cinq ans qu’elles ne le sont aujourd’hui. C’est incontestable. Je ne vois pas en quoi cela fera baisser le FN quand ce type de programmes fait grimper l’extrême droite partout en Europe. Pour moi, Marine Le Pen a peu de chance de gagner en 2017. La question est de savoir si les électeurs s’achètent seulement un délai en continuant les politiques libérales ou bien s’ils choisissent un projet politique de nature à extraire ce poison logé dans la tête de beaucoup de Français.
Pourquoi le vôtre et pas celui de Jean-Luc Mélenchon ?
Sortir de l’Europe n’améliorera pas les choses, au contraire.
Vous dites vouloir être l’«architecte de la gauche de demain». Mais certains de vos camarades au PS, opposés à votre ligne, aimeraient reprendre la main…
Ceux-là, je les ai croisés alors que je faisais ma campagne aux Antilles, dans le même hôtel que moi… Mais eux étaient en vacances. Honnêtement : qui va croire une seconde que la gauche française peut se reconstruire avec ceux qui ont posé comme acte fondateur, comme message à la nation, le non-respect d’un vote démocratique. Est-ce bien raisonnable de vouloir lutter contre le FN en posant cela comme acte de naissance de cette «résistance» ? Nous sommes dans une crise morale. Pas seulement politique. Moi, je continue à penser que les mots ont un sens.
Que vous a appris cette campagne ?
Mon déplacement de quarante-huit heures en banlieue m’a marqué. A Vaulx-en-Velin, à Villeurbanne, j’ai rencontré une banlieue lucide sur les constats, exigeante vis-à-vis du politique, engagée. J’ai rencontré un pays vivant, innovant, créatif, solidaire, et en même temps pas du tout idyllique. A La Courneuve, Sarcelles, Trappes, il y a une France mobilisée. J’assume de parler à cette France-là. De lui dire : «Ne ratez pas cette élection pour peser dans les choix et grandir encore.» Oui, je suis le candidat de la France métissée. Je l’assume. Quand les fachos m’ont fait le cadeau de m’appeler Bilal, ils ont touché ce que je veux incarner : la France laïque aux racines multiples. Loin des pâles figures de la déchéance de nationalité, de l’interdiction du voile à l’université et cette instrumentalisation de l’islam pendant cinq ans, hélas, au cœur du débat sur l’identité. Nous avons affronté le terrorisme de manière remarquable lors des manifestations de janvier 2015 pour ensuite voir cette formidable homogénéité se disloquer. La faute à des calculs politiciens. La déchéance de nationalité, c’est quoi sinon couper l’herbe sous le pied de la droite ? Dans cette campagne, j’ai vu une France à la fois au bord de la crise de nerfs, à la recherche de solutions pour s’en sortir.
Elle vous a plutôt rassuré ou inquiété ?
Sur une campagne longue, on voit les deux faces d’une même pièce. La question est de savoir laquelle choisir. Je choisis la bonne pour répondre à la mauvaise. En clair, quand je vais dans le quartier de Saint-Jean à Villeurbanne des gens nous disent : «La seule ligne de bus que l’on connaît, c’est la numéro 11 : nos deux jambes pour marcher.» Ils posent un constat lucide sur les services publics qui disparaissent. Alors ? On en reste au diagnostic et on se contente d’un discours négatif ou bien on se préoccupe du fond, du monde dans lequel nos enfants grandissent ? La France ne se choisira pas un futur sinistre avec le FN. Autant les responsables politiques, souvent, me désespèrent, autant les Français, même si parfois ils me mettent en colère, me redonnent de l’énergie.
Comment expliquez-vous alors le vote FN chez les jeunes ?
Là où la République est défaillante se nichent des réponses nationalistes pour certains, fanatiques et religieuses pour d’autres. Ils se disent : «Puisque le vivre ensemble est impossible, vivons entre nous, cherchons des identités de consolations, qui se déterminent contre quelqu’un.» Dans cette jeunesse, il y a de la radicalité vers les extrêmes mais, au milieu, il y a tout pour résister et balayer ces idéologies-là, pour construire de la fraternité. Ce sera le sens de mon grand rassemblement, mercredi soir, place de la République à Paris.
L’étiquette PS n’a-t-elle pas été un handicap pour vous ?
Le socialisme démocratique n’a jamais été aussi nécessaire. Je ne crois pas que le socialisme soit une vieille idée. Vouloir concilier la justice et l’égalité avec celle d’un développement protégeant nos espaces vitaux, la nature, la biodiversité, c’est une idée furieusement moderne. La question est de savoir si le PS est à la hauteur de ce socialisme à travers l’incarnation de ses dirigeants.
Le PS n’a pourtant jamais été aussi près de mourir…
Depuis des années, je théorise le fait que nous sommes dans une crise, avec un monde déjà mort et un autre, pour citer Gramsci, qui aspire à naître. Cela concerne aussi la gauche française. De ce clair-obscur, que va-il naître ? Un monstre ou un projet plus lumineux ? A travers la transition écologique, les mutations du travail, la révolution démocratique, je porte une perspective nouvelle et bienveillante. Je refuse de m’accrocher au monde ancien. J’ai décidé de me projeter. C’est ce qui a déstabilisé beaucoup de mes propres camarades. C’est ce qui m’a probablement fait gagner à la primaire.
Ne pensez-vous pas qu’il est difficile de «se projeter», dans un pays rongé par des inquiétudes, des peurs, des angoisses ? A Villeurbanne, une dame vous a demandé si vous n’étiez pas «trop en avance»…
Je ne pense pas. Mes réponses sont faites pour aujourd’hui. Pas pour un avenir lointain. La transition écologique adaptée à la transition du travail, le revenu universel… C’est pour maintenant. C’est même urgent. J’ai eu l’exigence intellectuelle de me sortir de figures simples et démagogiques. Moi aussi, j’aurais pu dire «qu’ils dégagent tous !», dire que tout est de la faute de l’Europe. Mais cela n’aurait pas été rigoureux. L’adversité me mobilise. Je finis la campagne en très grande forme. L’emballement final commence.