dimanche 25 novembre 2018

Le Comte de Monte-Cristo à la Gare du midi



Comédie classique
LE COMTE DE MONTE-CRISTO


D'ALEXANDRE DUMAS

Jeudi 6 décembre 2018 à 20h30

Gare du Midi

Durée : 1h25

Mise en scène et lumières : Richard Arselin

Adaptation et écriture : Véronique Boutonnet

Costumes : Les Vertugadins

Travail sonore : Franck Etenna 

Production : COMPAGNIE LES AMES LIBRES

Avec : Véronique Boutonnet, Luca Lomazzi, Franck Etenna

 

Jeter Edmond Dantès sur une scène de théâtre, comme on l’a jeté dans son cachot du château d’If, sans procès, sans jugement aucun, est une évidence pour qui aime entendre des histoires à tiroirs, des histoires rocambolesques, des aventures épicées et mystérieuses.

L’amour, la trahison, la peur, l’injustice, la foi, la conquête, le voyage, le pouvoir, le poison, le crime, les pièges, les cauchemars, les secrets de famille, tous sont là, dans la grande marmite de la création, épicés à point, parfumés avec délice, pour embarquer le spectateur dans une épreuve quasi mystique, initiatique et formidable.

Trois comédiens-conteurs s’emparent du chef d’œuvre de Dumas et remontent le fil de l’histoire, en bouleversent la chronologie, sur un rythme syncopé et incisif.

LA MUSE :

« Excellent ! A voir sans hésiter avec les collégiens, les jeunes et tous vos amis ! Formidable adaptation du célèbre roman de Dumas, le spectacle restitue en quelques scènes cette histoire si romanesque, et nous tient en haleine de bout en bout. Ils sont formidables, jouent avec passion et énergie. »


REG'ARTS :

« Haletants, nous suivons les reflets de la passion ténébreuse du Comte de Monte-Cristo dans les labyrinthes de l'aventure, grâce à ce trio de comédiens de haute voltige théâtrale ; ils sont formidables, fascinants d'adresse et d'habileté en changeant de personnage. Une adaptation claire, magistrale. »

samedi 24 novembre 2018

Jean-Claude Michéa : Lettre à propos des gilets jaunes

SOURCE :
https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2018/11/22/jean-claude-michea-une-lettre-a-propos-du-mouvement-des-gilets-jaunes%E2%80%89/amp/?__twitter_impression=true


Jean-Claude Michéa
Une lettre à propos du mouvement
des Gilets jaunes
 
Le 21 novembre 2018
Chers Amis,
Juste ces quelques mots très brefs et donc très lapidaires – car ici, on est un peu débordés par la préparation de l’hiver (bois à couper, plantes et arbres à pailler  etc.). Je suis évidemment d’accord avec l’ensemble de vos remarques, ainsi qu’avec la plupart des thèses de Lieux communs (seule la dernière phrase me paraît un peu faible en raison de son « occidentalisme » : il existe aussi, bien entendu, une véritable culture de l’émancipation populaire en Asie, en Afrique ou en Amérique latine !).
Le mouvement des « gilets jaunes » (bel exemple, au passage, de cette inventivité populaire que j’annonçais dans Les Mystères de la gauche) est, d’une certaine manière, l’exact contraire de « Nuit Debout ». Ce dernier mouvement, en simplifiant, était en effet d’abord une tentative – d’ailleurs encouragée par une grande partie de la presse bourgeoise – des « 10 % » (autrement dit, ceux qui sont préposés – ou se préparent à l’être – à l’encadrement technique, politique et « culturel » du capitalisme moderne), pour désamorcer la critique radicale du Système, en dirigeant toute l’attention politique sur le seul pouvoir (certes décisif) de Wall Street et des fameux « 1 % ». Une révolte, par conséquent, de ces urbains hypermobiles et surdiplômés (même si une fraction minoritaire de ces nouvelles classes moyennes commence à connaître, ici ou là, une certaine « précarisation ») et qui constituent, depuis l’ère Mitterrand, le principal vivier dans lequel se recrutent les cadres de la gauche et de l’extrême gauche libérales (et, notamment, de ses secteurs les plus ouvertement contre-révolutionnaires et antipopulaires : Regards, Politis, NP“A”, Université Paris VIII etc.). Ici, au contraire, ce sont bien ceux d’en bas (tels que les analysait Christophe Guilluy – d’ailleurs curieusement absent, jusqu’ici, de tous les talk-shows télévisés, au profit, entre autres comiques, du réformiste sous-keynésien Besancenot), qui se révoltent, avec déjà suffisamment de conscience révolutionnaire pour refuser d’avoir encore à choisir entre exploiteurs de gauche et exploiteurs de droite (c’est d’ailleurs ainsi que Podemos avait commencé en 2011, avant que les Clémentine Autain et les Benoît Hamon du cru ne réussissent à enterrer ce mouvement prometteur en le coupant progressivement de ses bases populaires).
Quant à l’argument des « écologistes » de cour – ceux qui préparent cette « transition énergétique » qui consiste avant tout, comme Guillaume Pitron l’a bien montré dans La Guerre des métaux rares, à délocaliser la pollution des pays occidentaux dans les pays du Sud, selon lequel ce mouvement spontané ne serait porté que par « une idéologie de la bagnole » et par « des gars qui fument des clopes et roulent en diesel », il est aussi absurde qu’immonde : il est clair, en effet, que la plupart des Gilets jaunes n’éprouvent aucun plaisir à devoir prendre leur voiture pour aller travailler chaque jour à 50 km de chez eux, à aller faire leurs courses au seul centre commercial existant dans leur région et généralement situé en pleine nature à 20 km, ou encore à se rendre chez le seul médecin qui n’a pas encore pris sa retraite et dont le cabinet se trouve à 10 km de leur lieu d’habitation. (J’emprunte tous ces exemples à mon expérience landaise ! J’ai même un voisin, qui vit avec 600 € par mois et qui doit calculer le jour du mois où il peut encore aller faire ses courses à Mont-de-Marsan, sans tomber en panne, en fonction de la quantité de diesel – cette essence des pauvres – qu’il a encore les moyens de s’acheter !) Gageons qu’ils sont au contraire les premiers à avoir compris que le vrai problème, c’était justement que la mise en œuvre systématique, depuis maintenant 40 ans, du programme libéral par les successifs gouvernements de gauche et de droite, a progressivement transformé leur village ou leur quartier en désert médical, dépourvu du moindre commerce de première nécessité, et où la première entreprise encore capable de leur offrir un vague emploi mal rémunéré se trouve désormais à des dizaines de kilomètres (s’il existe des « plans banlieues » – et c’est tant mieux – il n’y a évidemment jamais eu rien de tel pour ces villages et ces communes – où vit pourtant la majorité de la population française – officiellement promis à l’extinction par le « sens de l’histoire » et la « construction européenne » !).
Ce n’est donc évidemment pas la voiture en tant que telle – comme « signe » de leur prétendue intégration dans le monde de la consommation (ce ne sont pas des Lyonnais ou des Parisiens !) – que les Gilets jaunes défendent aujourd’hui. C’est simplement que leur voiture diesel achetée d’occasion (et que la Commission européenne essaye déjà de leur enlever en inventant sans cesse de nouvelles normes de « contrôle technique ») représente leur ultime possibilité de survivre, c’est-à-dire d’avoir encore un toit, un emploi et de quoi se nourrir, eux et leur famille, dans le système capitaliste tel qu’il est devenu, et tel qu’il profite de plus en plus aux gagnants de la mondialisation. Et dire que c’est d’abord cette gauche kérosène – celle qui navigue d’aéroport en aéroport pour porter dans les universités du monde entier (et dans tous les « Festival de Cannes ») la bonne parole « écologique » et « associative » qui ose leur faire la leçon sur ce point ! Décidément, ceux qui ne connaissent rien d’autre que leurs pauvres palais métropolitains n’auront jamais le centième de la décence qu’on peut encore rencontrer dans les chaumières (et là encore, c’est mon expérience landaise qui parle !).
La seule question que je me pose est donc de savoir jusqu’où un tel mouvement révolutionnaire (mouvement qui n’est pas sans rapport, dans sa naissance, son programme rassembleur et son mode de développement, avec la grande révolte du Midi de 1907) peut aller dans les tristes conditions politiques qui sont les nôtres. Car n’oublions pas qu’il a devant lui un gouvernement thatchérien de gauche (le principal conseiller de Macron est d’ailleurs Mathieu Laine – un homme d’affaires de la City de Londres et qui est, en France, le préfacier des œuvres de la sorcière Maggie), c’est-à-dire un gouvernement cynique et impavide, qui est clairement prêt – c’est sa grande différence avec tous ses prédécesseurs – à aller jusqu’aux pires extrémités pinochetistes (comme Maggie avec les mineurs gallois ou les grévistes de la faim irlandais) pour imposer sa « société de croissance » et ce pouvoir antidémocratique des juges, aujourd’hui triomphant, qui en est le corollaire obligé. Et, bien sûr, sans avoir quoi que ce soit à craindre, sur ce plan, du servile personnel médiatique français. Faut-il rappeler, en effet, qu’on compte déjà 3 morts, des centaines de blessés, dont certains dans un état très critique. Or, si ma mémoire est bonne, c’est bien à Mai 68 qu’il faut remonter pour retrouver un bilan humain comparable lors de manifestations populaires, du moins sur le sol métropolitain. Et pour autant, l’écho médiatique donné à ce fait effarant est-il, du moins pour l’instant, à la hauteur d’un tel drame ? Et qu’auraient d’ailleurs dit les chiens de garde de France Info si ce bilan (provisoire) avait été l’œuvre, par exemple, d’un Vladimir Poutine ou d’un Donald Trump ?
Enfin, last but not the least, on ne doit surtout pas oublier que si le mouvement des Gilets jaunes gagnait encore de l’ampleur (ou s’il conservait, comme c’est toujours le cas, le soutien de la grande majorité de la population), l’État benallo-macronien n’hésitera pas un seul instant à envoyer partout son Black Bloc et ses « antifas » (telle la fameuse « brigade rouge » de la grande époque) pour le discréditer par tous les moyens, où l’orienter vers des impasses politiques suicidaires (on a déjà vu, par exemple, comment l’État macronien avait procédé pour couper en très peu de temps l’expérience zadiste de Notre-Dame-des-Landes de ses soutiens populaires originels). Mais même si ce courageux mouvement se voyait provisoirement brisé par le PMA – le Parti des médias et de l’argent (PMA pour tous, telle est, en somme, la devise de nos M. Thiers d’aujourd’hui !) ; cela voudra dire, au pire, qu’il n’est qu’une répétition générale et le début d’un long combat à venir. Car la colère de ceux d’en bas (soutenus, je dois à nouveau le marteler, par 75 % de la population – et donc logiquement stigmatisé, à ce titre, par 95 % des chiens de garde médiatiques) ne retombera plus, tout simplement parce que ceux d’en bas n’en peuvent plus et ne veulent plus. Le peuple est donc définitivement en marche ! Et à moins d’en élire un autre (selon le vœu d’Éric Fassin, cet agent d’influence particulièrement actif de la trop célèbre French American Fondation), il n’est pas près de rentrer dans le rang. Que les Versaillais de gauche et de droite (pour reprendre la formule des proscrits de la Commune réfugiés à Londres) se le tiennent pour dit !
Très amicalement,
JC


vendredi 23 novembre 2018

Conférence Laïcité



 
Le vendredi 30 novembre 2018 à 18h30,
l'association Laïcité 64 organise une conférence-débat
animée par Mme Laure Caille,
présidente nationale de "Libres MarianneS"
 
 
Laïcité et droits des femmes
 
 
La conférence se tiendra à Bayonne au grand salon de l'Hôtel de ville.
L'entrée est libre.
 

mardi 13 novembre 2018

Nazisme, Trumpisme : éclaircissements de l'historien Fredéric Sallée

Source :
https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/histoire-%C3%A9tats-unis/le-retour-de-godwin


Le retour de Godwin


Dans Fahrenheit 11/9, le documentariste américain Michael Moore est la dernière personnalité publique à comparer l'accession au pouvoir de Donald Trump à celle d'Adolf Hitler dans l'Allemagne des années 30. Alors qu'une critique du trumpisme est nécessaire, selon l'historien Frédéric Sallée, spécialiste de l'histoire du nazisme, ce raccourci ne nous permet pas de comprendre la situation actuelle.
À l’occasion de l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil et face à l’inflation de l’extrême droite aux responsabilités en Europe, il est de bon ton de voir du nazisme partout, tout le temps. La marqueterie des populismes américains et européens n’a fait qu’augmenter le recours à la comparaison. La théorie de l’avocat américain Mike Godwin, forgée en 1990, reposant sur le fait d’augmenter la probabilité d’évoquer le nazisme dans un débat si l’argumentation s’éternise, semble bénéficier d’un nouvel écho.
Face visible de cet amalgame, le cinéaste Michael Moore et son nouveau documentaire Fahrenheit 11/09, où la confusion historique est tenace et l’analogie assumée : plan fixe sur une réunion du Ku Klux Klan où croix et svastika immolées cohabitent, enchaînement de propos tapageurs (« inutile de résister », « le président a le pouvoir absolu »). De loin en loin, se dessine une Amérique trumpiste nostalgique du nazisme. Dans le même temps, les historiens s’insèrent dans le débat, apportant corrections, limites et apports d’une logique comparatiste.

Comprendre le nazisme hors-les-murs, le trumpisme hors-le-temps

Pourquoi une telle parabole ? Invoquer le nazisme est pratique. Il incarne l’accomplissement absolu de l’horreur et se pose en avatar essentiel du Mal. Dans une perspective téléologique, il féconde le passage de l’idéologie mortifère en acte de la destruction. Le brandir en permanence comme imminence d’un retour galvaude la réalité des populismes actuels, répondant de genèses divergentes, de matrices intellectuelles disparates et de contextes nationaux et internationaux particuliers.
L’historien est là pour faciliter cette compréhension. C’est ce à quoi s’est attaché dans le New York Times l’historien américain Christopher Browning, spécialiste de la Shoah, éclairant brillamment les apports et limites de la comparaison [1], comme son confrère Timothy Snyder auparavant [2]. Il souligne que le « trumpisme n’est pas un hitlérisme » et que la comparaison ne fait sens que dans une mise en perspective des trajectoires de rejet de la démocratie. À l’instar de Barack Obama devant le Club économique de Chicago en décembre 2017, sa mise en garde porte davantage sur la « suffocation démocratique » et sur la vigilance de chacun dans sa conservation : respect de l’intégrité des contre-pouvoirs, liberté de la presse, garantie de la constitution. Au parallèle des trajectoires Hitler-Trump se substitue davantage une analogie autour de l’évolution de la République de Weimar au miroir de nos démocraties occidentales libérales. La réponse à la nature du trumpisme n’est ainsi pas à chercher dans la pratique du pouvoir nazi. Les deux premières années d’exercice ont démontré les limites de la comparaison. En Allemagne nazie, le recours permanent à la violence comme moyen d’assouvissement de la terreur, la confiscation de la démocratie, la mise en place d’un antisémitisme d’État, le noyautage des administrations par les lois de restructuration de la société dites « Mise au pas » (« Gleichschaltung ») ont accompagné les premiers mois du régime. L’évolution de la démocratie américaine de 2016-2018 ne répond pas d’un mimétisme de l’agonie weimarienne et du nazisme de 1933-1935. La société allemande des années 1930 est un agrégat d’individus profondément marqués par l’exceptionnel traumatisme guerrier et l’expérience de la violence de 1914-1918 (continuant après 1919 et les soulèvements spartakistes). Dans l’imaginaire de ces populations, la place centrale conférée à la guerre et son rapport au deuil, à l’intime désormais fracassé par le conflit mondial, ne peut trouver son pendant dans une comparaison hasardeuse avec la violence sociale et économique des années 2010.

De la nécessité de s’inquiéter, au-delà de comparer

L’utilisation du point Godwin pose le Totschlagargument (« argument suprême, irréfutable »). La politisation du discours s’immisce alors dans la recherche, y compris chez les historiens du nazisme ou de l’histoire sociale. Objecter la comparaison présente le risque de passer a minima pour un naïf aveugle, au pire de légitimer la politique de Donald Trump. Il existe pourtant une voie médiane : celle de l’histoire et du respect de l’étude des processus d’évolution des mouvements politiques. Les raisons de l’inquiétude envers le pouvoir trumpien sont légitimes et nécessaires, à condition de sonder ce qui halène du nazisme (nul), ce qui subodore le fascisme (marginal) ou ce qui renifle le populisme (efficient).
L’inquiétude d’un quelconque lien avec le nazisme réside notamment dans les éructations médiatiques de Richard Spencer, président du National Policy Institute, groupe d’extrême droite dont la nostalgie du nazisme s’est manifestée dans les « Heil Hitler » vociférés lors de l’élection de 2016. La vigilance sur l’influence des thèses de Spencer au sein de l’administration Trump constitue la pierre angulaire de la pénétration des théories racistes au sein du pouvoir. Cette angoisse s’est nourrie des révélations de Vanity Fair dès 1990 rappelant que Trump possédait un exemplaire de Mein Kampf. De là à voir dans l’acquisition du brûlot hitlérien la fabrique d’une doctrine politique, il y a un pas. Les discours racistes et xénophobes de Trump, réexaminés à la lumière de l’attentat de Pittsburgh du 27 octobre dernier, ne relèvent pas des mêmes fondements obsessionnels antisémites que les harangues hitlériennes ou celles déjà observables aux États-Unis lors de la création de l’America First Committee (AFC) en 1940. Le point Godwin inopérant, faut-il se pencher sur la filiation fasciste ? Un « fasciste sans fascisme » [3], telle serait la définition de Trump selon l’historien Enzo Traverso. L’absence d’un mouvement de masse à la solde du chef, référent matriciel du fascisme, du fait de l’incapacité à souder pleinement le camp républicain autour de la figure présidentielle, est une différence de fond avec les mouvements fascistes de l’entre-deux-guerres, avant tout agrégés autour d’un parti fort dans lequel les masses pouvaient trouver l’illusion d’une rédemption.
Le populisme, quant à lui, repose sur la démagogie et sur sa normalisation, d’où une vigilance de rigueur. La capacité d’un démagogue, qu’il soit Adolf Hitler ou Donald Trump, à transcender les masses afin d’effriter progressivement les protections constitutionnelles ne doit pas être minimisée. Godwin n’a pas à être convoqué pour éclairer la conscience citoyenne. L’histoire, dans sa lecture intégrale et non cantonnée au nazisme, apporte cette lumière.
Voir dans le trumpisme, ou dans chaque montée populiste, l’épiphanie du nazisme permet de se placer en observateur éclairé au-dessus de la mêlée des aveugles, capable d’alerter et de dénoncer ce qui se joue. La comparaison a une vocation : rassurer. Rasséréner sur le fait que nous, observateurs de tous bords, savons voir la menace affleurée, à l’inverse de contemporains de la « peste brune », prétendument atteints de cécité. Or, c’est tout l’inverse qui transparaît. Décontextualiser le nazisme et en faire l’idéal-type du populisme minimise les rhizomes de sa Weltanschauung (« conception du monde ») dont l’épine dorsale antisémite est nourricière. Ce qui se joue dépasse le cadre d’une analyse du trumpisme. C’est la crédibilité de l’utilisation de l’histoire comme outil de compréhension du présent qui est en jeu. Jean-Baptiste Duroselle, historien des relations internationales, s’étonnait déjà à la fin des années 1950 des utilisations politiques de l’histoire : « Trop d’historiens partent de théories préconçues et plutôt que de vérifier leur valeur au contact inexorable des faits, cherchent à en trouver qui vérifient leurs théories. Pour les faits qui résistent, on les déclarera peu importants ». [4] Le cercle semble s’être élargi, ne se cantonnant plus uniquement aux historiens. Dans ces arrangements concentriques avec l’histoire, Godwin n’est jamais bien loin. Il en devient le centre de gravité, emportant avec lui le rôle salvateur de la modération historienne.

Agrégé d'histoire et docteur en histoire contemporaine, Frédéric Sallée est l'auteur de Sur les chemins de terre brune. Voyages dans l'Allemagne nazie (1933-1939) (Fayard).Il vient de publier Anatomie du nazisme (Le cavalier bleu).

[1] Christopher R. Browning, « The suffocation of Democracy », New-York Times, 25/10/2018.
[2] Timothy Snyder, On Tyranny, Tim Duggan Books, 2017.
[3] Enzo Traverso, « Un fasciste sans fascisme », Politis, 11/11/2016.
[4] Jean-Baptiste Duroselle, Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 1959.