jeudi 26 novembre 2020

Discrédit. Complotistes et anticomplotistes. Frédéric Lordon

SOURCE :

https://blog.mondediplo.net/paniques-anticomplotistes

Paniques anticomplotistes

par Frédéric Lordon, 25 novembre 2020
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Félix Vallotton. - « Paysage de ruines et d’incendies », 1915.

Si Hold-up n’avait pas existé, les anticomplotistes l’auraient inventé. C’est le produit parfait, le bloc de complotisme-étalon en platine iridié, déposé au Pavillon de Breteuil à Sèvres. De très belles trouvailles, des intervenants dont certains ont passé le 38e parallèle comme des chefs : une bénédiction. Altérée cependant parce que, certes, on est content d’avoir raison et d’être la rationalité incarnée, mais quand même l’époque est sombre et on rit moins. La Terre plate et la Lune creuse, on veut bien, ça c’est vraiment drôle, mais QAnon beaucoup moins, ça fait de la politique, le cas échéant ça prend des armes ; aux fusils près et du train où vont les choses on pourrait bientôt avoir les mêmes à la maison. D’ailleurs, on commence à les avoir. Pour l’heure il n’est question que de masques et de vaccins, ce qui n’est déjà pas rien, mais on sent bien que tous les autres sujets sont candidats. Ce qu’on sent bien également, c’est le degré auquel le camp de la raison se voit lui-même démuni, et légèrement inquiet devant sa difficulté à élaborer des stratégies antidotes. Disons-le tout de suite, dans la disposition qui est la sienne, il n’est pas près d’en trouver la première.

D’une forme à l’autre (mais la même)

Lire aussi Serge Halimi, « Dès maintenant ! », Le Monde diplomatique, avril 2020.

Le torrent de commentaires qu’a immédiatement suscité la diffusion du documentaire est sans doute le premier signe qui trahit la fébrilité — du temps a passé depuis le mépris et les ricanements. Si encore il n’y avait que la quantité. Mais il faut voir la « qualité ». C’est peut-être là le trait le plus caractéristique de l’épisode « Hold-up » que toutes les réactions médiatiques ou expertes suscitée par le documentaire ne font que reconduire les causes qui l’ont rendu possible. Les fortes analyses reprises à peu près partout ont d’abord fait assaut de savoirs professionnels par des professionnels : « la musique » — inquiétante (la musique complotiste est toujours inquiétante), le format « interviews d’experts sur fond sombre » (le complotisme est sombre), « le montage » (le montage… monte ?). C’est-à-dire, en fait, les ficelles ordinaires, et grossières, de tous les reportages de M6, TF1, LCI, BFM, France 2, etc. Et c’est bien parce que l’habitude de la bouillie de pensée a été installée de très longue date par ces formats médiatiques que les spectateurs de documentaires complotistes ne souffrent d’aucun dépaysement, se trouvent d’emblée en terrain formel connu, parfaitement réceptifs… et auront du mal à comprendre que ce qui est standard professionnel ici devienne honteuse manipulation là.

Complotistes ou décrypteurs ?

Mais les médias ont passé ce point d’inquiétude où l’on sent bien qu’on ne peut plus se contenter de la stigmatisation des cinglés. L’urgence maintenant c’est de comprendre — hélas en partant de si loin, et avec si peu de moyens. Alors la science médiatique-complotologique pioche pour refaire son retard, et tout y passe. Il y a d’abord, nous dit très sérieusement Nicolas Celnik dans Libération (lui aussi a compris qu’il ne fallait plus se moquer, alors il écrit une « Lettre à (son) ami complotiste »), que l’un des ressorts positifs des adeptes de complots vient de « l’impression d’avoir découvert ce qui devait rester caché ». Mais Nicolas Celnik sait-il que le vocable princeps de l’idéologie journalistique est « décrypter », ce qui, si l’on suit bien l’étymologie, signifie, précisément, mettre à découvert ce qui était caché. Il n’est pas un organe de presse qui ne s’enorgueillisse de ses « décryptages ». Partout ce ne sont que « décrypteurs », d’ailleurs Abel Mestre et Lucie Soullier qui consacrent un papier-fleuve dans Le Monde à s’inquiéter de la double épidémie de Covid et de théories complotistes, déplorent que l’audience de ces dernières soit « devenue considérable, bien au-delà de celle des sites qui les décryptent ».

Le décryptage autorisé a toujours consisté en cette forme particulière de recryptage, mais ici tout à fait inconsciente

Ici le parallélisme manifestement inaperçu entre les îlotes tentant de « découvrir ce qui devrait rester caché » et l’aristocratie des « décrypteurs » se complique de ce que le décryptage autorisé n’a jamais rien décrypté, qu’il a même toujours consisté en cette forme particulière de recryptage, mais ici tout à fait inconsciente, en quoi consiste le catéchisme néolibéral. Il suffit d’écouter un « décrypteur » livrer aux masses abruties qu’il a la bonté d’éclairer le sens profond de la suppression de l’ISF, de la réduction de la dette publique ou du démantèlement du code du travail pour être au clair sur ce que « décrypter » signifie réellement — à savoir voiler dans les catégories de la pensée néolibérale. « Décrypter », c’est avoir admis que les gueux ne se contentent plus d’une simple injonction, et entreprendre de leur en donner les bonnes raisons. Par exemple : « il faut supprimer l’ISF sinon les cerveaux partiront » — là c’est décrypté ; « il faut réduire la fiscalité du capital pour financer nos entreprises » (tout est clair) ; « il faut fermer des lits pour que l’hôpital soit agile » (décryptage de qualité : qui voudrait d’un hôpital podagre ou arthritique ? on comprend) ; « il faut réduire les dépenses publiques pour ne pas laisser la dette à nos enfants » (clarté économique, clarté morale), etc.

C’est très exaltant pour un journaliste de décrypter, ça donne un grand sentiment d’utilité sociale, c’est comme une charité démocratique. Les gueux ne pouvaient pas apercevoir tout ça, ça leur restait donc crypté — du coup on le leur décrypte. Décrypter, c’est faire comprendre aux intéressés ce qu’on va leur faire, pourquoi c’est nécessaire, et pourquoi c’est bon pour eux. Et comme ils auront compris, ils seront contents — suppose-t-on. Si les malheureux décrypteurs savaient ce que donnerait qu’on décrypte leurs décryptages, ce qu’on porterait au jour — les abysses de raisonnements indigents, d’idées reçues, de servilités intellectuelles inconscientes, mais fièrement portées en bandoulières comme vérités d’initiés.

Les complotistes en tout cas ont parfaitement reçu le message du « décryptage », à ceci près qu’à force de s’entendre administrer par d’autres un sens inaperçu du monde qui les bousille en leur expliquant qu’il est le meilleur possible, ils ont entrepris de s’en chercher un autre par eux-mêmes. Ça ne donne sans doute pas des résultats bien fameux — mais à décrypteur, décrypteur et demi. C’est le « décryptage » lui-même qui, pour permettre aux journalistes de faire les entendus, a installé l’idée qu’il y avait quelque chose à aller chercher dessous. Les complotistes les prennent au mot, à ceci près que le quelque chose des décrypteurs étant toujours la même chose, eux se mettent en devoir d’aller chercher autre chose.

Cérébroscopie des complotistes

Lire aussi «  Médias français, qui possède quoi ? », Le Monde diplomatique, novembre 2020.

Alors on va chercher pourquoi l’autodécryptage des gueux décrypte de travers. Ici la science complotologique est à son meilleur. Comme les sciences les plus avancées, elle isole des « effets ». Par exemple la physique connaît « l’effet Compton », « l’effet Doppler », « l’effet Einstein ». La complotologie, pour sa part dispose de l’effet « millefeuille argumentatif ». Impossible d’ouvrir un article sur Hold-up sans avoir à manger du millefeuille (argumentatif) — une feuille de vrai, une feuille de faux, une feuille de vrai… Un journaliste de Mediapart va plus loin et pose gravement la question : « pourquoi nos cerveaux sont-ils si perméables » (à l’aberration complotiste) ? « Nos » : pas de discrimination offensante. « Cerveaux » : parce que c’est là-dedans que ça se passe. La réception du complotisme, c’est une affaire « dans le cerveau ». Un psychologue social, dont la psychologie sociale n’a plus rien de social (mais c’est la grande tendance de la psychologie sociale) saisit aussitôt la perche du « cerveau » : comme une invitation faite aux sciences cognitives et à leur panacée explicative : le biais. Pourquoi le « cerveau » (des complotistes) erre-t-il ? Parce qu’il est en proie à des biais (cognitifs) — marche aussi avec « pourquoi votre fille est muette » : elle est en proie à des biais (auditifs). Après le biais pâtissier (celui du millefeuille — particulièrement traître avec toute cette crème, on ne sait plus si on mange des feuilles vraies ou des feuilles fausses), le biais de confirmation, puis le biais d’intentionnalité (à qui profite le crime ?), etc. De ce qu’il y a des biais, il résulte que la pensée n’est pas droite. C’est scientifique, on a bien avancé.

À un moment cependant le psychologue social se souvient qu’il y a « sociale » dans « psychologie sociale ». Et qu’il y a des inégalités « assez énormes dans les sociétés modernes ». Dont résulte logiquement que le complotisme prospère auprès « des gens qui ont un plus faible degré d’éducation ». On le pressentait, mais c’est quand même plus satisfaisant quand c’est établi par la science. Attention toutefois, la science a ses complexités : quand Macron pense que les « gilets jaunes » sont soutenus par les Russes, ou quand le sénateur PS François Patriat, à propos des mésaventures de DSK en 2011, envisage « non pas la théorie du complot mais la théorie du piège », il est impossible d’y voir des bouffées complotistes, d’abord parce que François Patriat l’écarte formellement, ensuite parce qu’il est assez évident que nous avons affaire à des personnes qui n’ont pas « un faible degré d’éducation ». Le complotisme, c’est la pathologie cognitive des pauvres — on ne tardera sans doute pas à établir que le jambon mouillé a des effets pernicieux sur le cortex préfrontal et, là, la psychologie sociale sera pleinement sociale, ainsi que scientifique.

Les paroles institutionnelles en ruines

Voilà donc où en est la « compréhension » du fait complotiste dans les médias assistés de leurs experts satellites. D’où naît irrésistiblement un désir de compréhension de cette « compréhension », ou plutôt de cette incompréhension, de cette compréhension tronquée sur l’essentiel. En réalité, que la formation des opinions reprenne toute liberté, pour le meilleur et pour le pire, quand l’autorité des paroles institutionnelles est à terre, ça n’a pas grand-chose de surprenant. Mais pourquoi l’autorité des paroles institutionnelles est-elle à terre ? C’est la question à laquelle les paroles institutionnelles ont le moins envie de répondre. On les comprend : l’examen de conscience promet d’être douloureux, autant s’en dispenser — et maintenir le problème bien circonscrit au cerveau des complotistes.

Mais pourquoi l’autorité des paroles institutionnelles est-elle à terre ? C’est la question à laquelle les paroles institutionnelles ont le moins envie de répondre

C’est que l’autorité des paroles institutionnelles n’a pas été effondrée du dehors par quelque choc exogène adverse : elle s’est auto-effondrée, sous le poids de tous ses manquements. À commencer par le mensonge des institutions de pouvoir. Les institutions de pouvoir mentent. Mediator : Servier ment. Dépakine : Sanofi ment. Bridgestone : Bridgetsone ment. 20 milliards de CICE pour créer un million d’emplois : le Medef ment. Mais aussi : Lubrizol, les pouvoirs publics mentent ; nucléaire, tout est sûr : les nucléocrates mentent. Loi de programmation de la recherche : Vidal ment (mais à un point extravagant). Violences policières, alors là, la fête : procureurs, préfecture, IGPN, ministres, président de la République, tout le monde ment, et avec une obscénité resplendissante qui ajoute beaucoup. Covid : hors-concours.

Lire aussi Philippe Descamps, « Épidémie d’affaires », Le Monde diplomatique, novembre 2020.

Le capitalisme néolibéral a déchaîné les intérêts les plus puissants, or là où les intérêts croissent, la vérité trépasse. C’est qu’il faut bien accommoder la contradiction entre des politiques publiques forcenées et l’effet qu’elles font aux gens. Or pour combler ce genre d’écart, quand on a décidé de ne pas toucher aux causes de l’écart, il n’y a que le secours des mots. Alors on arrose généreusement avec du discours. Au début on fait de la « pédagogie », on « décrypte ». Et puis quand le décryptage ne marche plus, il ne reste plus qu’à mentir — à soutenir que ce qui est n’est pas (« la police républicaine ne se cagoule pas, elle agit à visage découvert »), ou que ce qui n’est pas est (on ferme des lits pour améliorer l’accueil des malades). Quand il n’est pas pure et simple répression, le néolibéralisme finissant n’est plus qu’une piscine de mensonge. Nous baignons là-dedans. C’est devenu une habitude, et en même temps on ne s’y habitue pas. Vient forcément le moment où l’autorité de la parole institutionnelle s’effondre parce que l’écart entre ce qu’elle dit et ce que les gens expérimentent n’est plus soutenable d’aucune manière.

Alors ça part en glissement de terrain, et tout s’en va avec, notamment les médias d’accompagnement, précisément parce qu’ils auront accompagné, trop accompagné, pendant trop longtemps. Ils auront tant répété, tant ratifié, se seront tant empressés. Les complotistes voient l’esprit critique de la presse se réarmer dans la journée même de la parution d’un documentaire. Mais, en matière d’esprit critique, ils se souviennent aussitôt des interviews de Léa Salamé, de Macron interrogé par TF1-France2-BFM, de la soupe servie à la louche argentée, de la parole gouvernementale outrageusement mensongère mais jamais reprise comme telle, ils se souviennent de deux mois d’occultation totale des violences policières contre les « gilets jaunes », ils se souviennent du journalisme de préfecture qui a si longtemps débité tels quels les communiqués de Beauvau, certifié l’envahissement de la Salpêtrière par des casseurs. Certains médias protestent : « c’est injuste, nous sommes en train de changer, nous avons vu, nous en parlons maintenant, nous envoyons des grandes reporters sur les ronds-points, nous avons à cœur de reprendre (prendre) contact avec la vie des gens ». Sans doute, mais c’est tellement tard, tellement trop tard. Car ça fait des décennies que ça dure. Trente, quarante ans d’accompagnement, d’occultations sélectives — même pas par mauvais geste : par simple cécité —, de leçons faites, il faut s’adapter, il faut être compétitif, il faut accepter des sacrifices, l’Europe est notre avenir, vous ne voulez tout de même pas que La-France sorte de la mondialisation ? C’est long trente ans à ce régime, pendant que le chômage, la précarité, les inégalités, les suicides et les services publics explosent. Ça en fait du travail de sape dans les esprits.

En fait c’est très simple : pourquoi les paroles institutionnelles s’effondrent-elles ? Parce que, dans le temps même où elles présidaient au délabrement de la société, elles auront, chacune dans leur genre, ou trop menti, ou trop couvert, ou trop laissé passer, ou trop regardé ailleurs, ou trop léché, que ça s’est trop vu, et qu’à un moment, ça se paye. Le complotisme en roue libre, c’est le moment de l’addition. Il faut vraiment être journaliste, ou expert de Conspiracy Watch pour ne pas voir ça. Trente ans de ruine à petit feu de l’autorité institutionnelle, et puis un beau jour, l’immeuble entier qui s’effondre : le discrédit. Mais normalement on sait ça : le crédit détruit, ne se reconstruit pas rapidement. Maintenant, il y a les ruines, et il va falloir faire au milieu des gravats pour un moment. On comprend que la plupart des médias, qui comptent au nombre des gravats, ne se résolvent pas à regarder le tableau. C’est bien pourquoi il fallait faire aussitôt un hold-up sur Hold-up : pour en fixer la « compréhension », et qu’elle ne s’en aille surtout pas ailleurs.

Rééducation et bienveillance

En attendant, la soupe est renversée et on a les complotistes sur les bras. Comment faire ? On a compris que l’heure de les traiter de cinglés était passée et qu’il urge de trouver autre chose pour endiguer la marée. Mais quoi ? Dans l’immédiat, pas grand-chose hélas, en tout cas pas ça. Il va falloir se faire à l’idée que la ruine des constructions de longue période, comme le crédit fait à la parole institutionnelle, ne se répare que par des reconstructions de longue période (par exemple, la destruction présente de la chaîne éducation-recherche prendra des décennies à être surmontée). Tant que la phalange anticomplotiste continuera d’apparaître telle qu’elle est, c’est-à-dire soudée au bloc des pouvoirs, le crédit de l’ensemble restera à zéro. En réalité, tant que la masse « médias » ne se fragmentera pas, tant que ne s’en détachera pas une fraction significative, qui rompe avec la position globale de ratification de l’ordre néolibéral et de déférence à l’endroit de tous ses pouvoirs, les clients du complotisme continueront de n’y voir qu’un appareil homogène de propagande — et d’aller chercher « ailleurs ». Les gens ne vont chercher un « ailleurs » au-dehors que lorsque le champ institutionnel a échoué à aménager un « ailleurs » au-dedans. Mais quel aggiornamento, quelles révisions déchirantes, cette rupture, maintenant, ne suppose-t-elle pas ?

Lire aussi Félix Tréguer, « Les deux visages de la censure », Le Monde diplomatique, juillet 2020.

Pour l’heure, incapable, la parole autorisée cherche fébrilement quelque autre ressource — mais forcément au voisinage de ses formes de pensée invétérées. Idée de génie et redéploiement pédagogique : on va aller leur parler. Mais gentiment cette fois. On va leur écrire des lettres, en leur disant qu’ils sont nos amis — c’est donc la version Libération. Il y a celle du Monde. Si l’ambiance générale n’était pas si flippante, ce serait à se rouler par terre de rire. Tout y est. On va chercher Valérie Igounet de Conspiracy Watch — on avait l’habitude jusqu’ici de Rudy Reichstadt mais lui est trop épais, c’était l’anticomplotisme première manière, maintenant on ne peut plus le sortir. Dans la saison 2, ça donne : « Il faut réfuter par des faits, décrypter, mais sans être dans l’accusation ou la moquerie ». Voilà la solution : tout dans l’onctueux, l’humain et la bienveillance — on est excellemment partis. « On est sur un fil », ajoute quand même l’experte dans un souffle. Tu l’as dit Valérie.

Tristan Mendès-France, lui, explique à peu de choses près qu’on a le stock des zinzins sur les bras et qu’avec eux, c’est foutu, il faudra faire avec. Mais que tout notre effort doit aller à enrayer les nouveaux recrutements : « il faut viser les primo-arrivants, faire de la prévention ». Valérie Igounet a déjà commencé : elle mène, nous explique Le Monde« de nombreux ateliers avec l’Observatoire du complotisme auprès d’enfants » — il faut prendre les « primo-arrivants » de loin. Tout le problème de l’anticomplotisme, c’est qu’il peut prononcer l’âme claire une phrase pareille qui, normalement, devrait faire froid dans le dos. Qu’on n’aille pas croire à une embardée individuelle : c’est la ligne générale. Le nouvel expert gyroscopique — il tourne sur à peu près tous les médias, France Culture, Le MondeRegards —, Thomas Huchon, pense également qu’il faut « faire de l’éducation aux médias (…) en gros de la prévention pour vacciner contre l’épidémie de “fake news” ». On se croirait au point de presse de Jérôme Salomon, et ça n’est pas un hasard. Car c’est cela qu’on trouve dans une tête d’anticomplotiste : des images de bacilles, de prophylaxie et de cordon sanitaire. De politique ? Aucunement. Ça n’est pas une affaire de politique, ou de discours politique : c’est une affaire médicale.

On voit d’ici à quoi pourra ressembler « l’éducation », ou plutôt la rééducation, aux médias. L’essentiel est que l’analyse du complotisme soit ramenée à son cadre : d’un côté le pathologique, de l’autre le pédagogique. Et puis, dans le camp-école réaménagé, les éducateurs, nous est-il désormais garanti, seront pleins d’empathie et d’écoute : « la diffusion du complotisme, conclut l’article du Monde, pose un défi à une multitude d’acteurs qui doivent plus que jamais prendre le temps d’expliquer, de démontrer, sans ostraciser ni caricaturer ». De ne rien comprendre à ce point, c’en est extravagant. Finalement, rien n’a bougé d’un iota, le complotisme a encore de beaux jours devant lui. On se croirait revenu dans Tintin au Congo, mais où on aurait rappelé les missionnaires pour leur faire faire une UV de psycho avant de les renvoyer sur le terrain : « Nous n’économiserons ni notre patience ni notre bonté pour vous faire apercevoir que les esprits de la forêt n’existent pas. Puisque ce qui existe, c’est Dieu ».

Frédéric Lordon

dimanche 15 novembre 2020

La Tolérance

 


Extrait de Pierre Bayle (1647-1706), De la tolérance.

« (…) nul croyant ne peut concevoir de bonne foi qu’il plait à son Dieu en exerçant une contrainte sur autrui pour faire progresser sa religion, ou même en s’efforçant d’obtenir des privilèges au titre de sa croyance. Toute discrimination fondée sur une conviction spirituelle lui paraîtra donc impie. La tolérance est dès lors requise, y compris pour empêcher les désordres qui ne manquent pas de surgir des violences de la persécution et des contre-violences de la résistance qu’elle suscite. C’est l’absence de tolérance qui suscite bien plutôt le désordre. C’est dire que le pluralisme spirituel, incluant les athées et les agnostiques, à côté des divers croyants, doit avoir pour condition de libre développement une égalité de principe de tous les hommes. »

mardi 20 octobre 2020

Hommage à Samuel Paty

 SOURCE :

https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/marylin-maeso-cette-bataille-samuel-tu-l-as-deja-remportee_2136699.html


Marylin Maeso : "Cette bataille, Samuel, tu l'as déjà remportée"

La philosophe et enseignante rend un hommage bouleversant à Samuel Paty, ce professeur martyr qui a voulu que ses élèves puissent "se construire librement".

Tu t'appelais Samuel Paty. Et tu avais choisi de consacrer ta vie, celle qu'on t'a violemment arrachée ce vendredi, à enseigner l'histoire. À transmettre à de jeunes citoyens bien plus qu'un ensemble de savoirs fondamentaux : le goût de la liberté, le sens de sa valeur et la conscience de sa vulnérabilité.  

Voici venu le temps dont parlait Camus dans La Peste. L'heure, qui a si souvent sonné dans l'histoire, où "celui qui ose dire que deux et deux font quatre est puni de mort." Celle où l'instituteur qui s'obstine à faire son travail devient malgré lui un martyr en sursis. Tu le savais. Et tu voulais, quoi qu'il t'en coûte, que tes élèves fassent l'addition. Car c'est cela, l'école. La possibilité d'un sursaut. Ce lieu sans verrou et aux mille fenêtres où nos convictions, nos a priori, nos préjugés quittent le confort de notre intimité pour s'observer à la lumière du jour. Ce refuge détesté des gardiens de l'obscurité, non parce qu'il aurait, comme ils se plaisent à le prétendre, juré la mort de la foi, mais parce qu'il fait émerger, avec l'apprentissage du questionnement et du désaccord, l'espace du choix. La connaissance n'est pas l'ennemi des croyances, mais celui de toutes les tutelles intellectuelles et morales. L'arme redoutée des adorateurs du pouvoir de contraindre, parce qu'elle réserve à chacun le droit de dire non. De changer d'avis comme de religion. De douter, de cesser de croire ou de croire autrement. De s'approprier les textes sacrés et de tenir tête à ceux qui se sont arrogé le monopole de la lecture légitime.  

Tu rêvais d'un monde où l'on pourrait débattre tous ensemble et sans drame. Un monde appelé "République", dans lequel un enseignant peut faire cours sans se mettre en danger. Mais tu connaissais la distance qui nous en sépare. Tu voyais chaque jour à quel point la réalité contredit l'idéal. Alors, parce que le bien-être de tes élèves passait avant tout à tes yeux et parce que tu savais qu'aucun enfant n'est responsable de l'éducation qui l'a amené à se sentir blessé jusqu'au malaise par un dessin, tu as proposé à ceux qui le souhaitaient, avant de montrer une caricature du prophète, de sortir ou de détourner le regard. Et l'engrenage s'est enclenché. Pendant quinze jours, ils ont voulu te faire payer à grand renfort de manipulations. Quinze jours durant, ils ont été nombreux à relayer le mensonge et à se joindre aveuglément à l'odieuse curée. À soutenir la vendetta d'un père hypocrite qui t'avait accusé de stigmatiser tes élèves musulmans, alors qu'il incarnait le mur de pressions et de compromissions sur lequel nous sommes si nombreux à nous être cognés. Par sa plainte ridicule déposée à ton encontre pour "diffusion d'images pornographiques", par sa façon d'instrumentaliser sa fille en lui prêtant un traumatisme provoqué par une scène à laquelle elle n'avait pas assisté, il a démontré le bien-fondé de tes appréhensions. 

Que faites-vous aujourd'hui, tandis que Mila a dû être déscolarisée?

Un professeur qui invite certains de ses élèves à quitter la classe, évidemment, c'est absurde. Inconcevable. On entend déjà les inspecteurs des travaux finis, toujours là pour confondre cause et conséquence, te faire jusque dans la tombe l'article sur la neutralité que tu aurais bafouée. Il est tellement plus facile de te reprocher de ne pas voler droit que d'admettre que dans ce pays, il y a bien longtemps déjà que la laïcité a du plomb dans l'aile. Comme si l'annonce de ton assassinat ne suffisait pas, il a fallu qu'on apprenne que tu avais présenté des excuses. Que les harceleurs avaient réussi à te faire endosser la responsabilité de leurs méfaits. Et qu'ainsi, ce qui n'aurait jamais dû cesser d'être notre honte et notre affaire collectives était devenu ta faute. 

Non, Samuel, personne n'a le droit de te juger. Vous qui vous étonnez, vous qui vous scandalisez qu'un enseignant démuni signale à ses élèves musulmans qu'il ne les forcera pas à regarder des caricatures du prophète, où étaient vos alarmes quand un sondage Ifop publié le mois dernier montrait que 69% des Français de confession musulmane voient dans la publication de ces dessins une "provocation inutile" ? Quand les "ils l'ont quand même un peu cherché" ont fusé en janvier 2015, alors que le sang des dessinateurs de Charlie Hebdo était encore frais ? Que faites-vous aujourd'hui, tandis que Mila, la lycéenne qui, pour avoir insulté le dieu qu'on lui avait brandi à l'appui d'attaques lesbophobes, a dû être déscolarisée suite à des menaces de mort émanant notamment de certains de ses camarades, confie qu'elle s'attend elle aussi à mourir "butée par un islamiste" ? Qu'aviez-vous à dire à tous les spécialistes du "oui, mais" qui l'ont accusée d'avoir provoqué son calvaire, et à Cyril Hanouna qui l'a jetée en pâture dans son émission en lui intimant de "se faire toute petite" au prétexte qu'il "n'aime pas qu'on rigole ou qu'on insulte des religions" ? Et que direz-vous désormais à ceux qui, le lendemain de la décapitation d'un enseignant, récitent une fois de plus le couplet-couperet qui, en laissant entendre qu'on devrait renoncer à caricaturer la religion pour éviter de nouvelles tragédies, achève l'oeuvre des bourreaux en cédant à leur chantage ? 

Telle est la vérité avec laquelle il est plus que temps de se mettre en règle. Nous avons collectivement laissé s'élever un royaume de peur et d'intimidation, où l'arbitraire des sensibilités fait tacitement la loi. On t'en veut, Samuel, de t'être étouffé avec cet air asphyxiant qu'on t'a contraint à respirer, d'avoir balbutié le couteau sous la gorge. On aurait voulu que toi, le simple professeur, tu accomplisses l'impossible quand les autres n'ont pas le courage élémentaire de reconnaître l'évidence. Que tu enseignes sereinement la laïcité au moment même où tant de tes concitoyens s'en lavent les mains quand ils ne lui crachent pas ouvertement au visage, et que tu portes haut notre "liberté chérie" en ignorant ses fossoyeurs qui t'assaillaient sans rencontrer de grande résistance. Ce qu'il nous faut comprendre enfin, Camus l'avait énoncé dans une conférence de 1946 si justement intitulée La crise de l'homme : "Nous devons appeler les choses par leur nom et bien nous rendre compte que nous tuons des millions d'hommes chaque fois que nous consentons à penser certaines pensées. On ne pense pas mal parce qu'on est un meurtrier. On est un meurtrier parce qu'on pense mal. C'est ainsi qu'on peut être un meurtrier sans avoir jamais tué apparemment. Et c'est ainsi que, plus ou moins, nous sommes tous des meurtriers". À chaque fois que nous traitons en provocateurs condamnables ceux qui n'ont jamais voulu provoquer autre chose que la réflexion, nous armons ceux qui sont prêts à tout pour éteindre la pensée. 

Confronter les croyances des élèves à la satire et à la critique

C'est pour mettre un terme à la tyrannie de la susceptibilité dans laquelle certains adultes enferment leurs enfants que tu as pris ce risque qui n'aurait jamais dû en être un. Celui d'analyser un dessin avec tes élèves. Pour les amener, par la pédagogie et par l'exemple, à se prouver à eux-mêmes qu'il n'y avait rien à craindre. Qu'ils étaient capables de confronter leurs croyances à la satire et à la critique. Pour leur offrir l'occasion précieuse de constater que faire face à la contradiction n'a jamais tué personne, mais constitue au contraire la seule façon de se forger des convictions solides à la flamme de la raison. Le marteau nietzschéen a beau avoir retenti plus d'une fois dans mes classes, je n'ai jamais traumatisé personne en distribuant des textes qui égratignent nos certitudes, qu'elles soient religieuses, existentielles, métaphysiques, épistémologiques ou politiques. Si j'en crois mes anciens étudiants, j'ai peut-être même contribué, Dieu me pardonne, à éveiller quelques vocations philosophico-théologiennes. J'imagine que pour les businessmen du ressentiment qui cherchent à recruter des terroristes dociles, chaque nouveau Averroès ou Al-Ghazâlî qui se forme à l'école de la République est un affront insupportable. Il n'y a pas de plus belle victoire pour un enseignant que d'avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour tenir en échec ceux qui auraient voulu empêcher ses élèves de se construire librement. Ton bourreau a cru faire une démonstration de force en t'abattant. Il n'a su qu'exhiber malgré lui un aveu de défaite. 

Cette bataille, Samuel, tu l'as déjà remportée. Passionné, attentionné, drôle et captivant : c'est ainsi que tes élèves parlent de toi. L'homme qu'ils se remémorent en ces termes et dont ils pleurent la disparition brutale ne pouvait être qu'un grand professeur. De ceux qui font murir derrière les pupitres des esprits justes, des coeurs reconnaissants dénués de méchanceté. Loin des polémiques médiatiques, hors de portée des prêcheurs de haine, tes élèves se souviendront de toi avec la même gratitude tendre que celle que j'éprouve envers les enseignants qui ont changé ma vie. Comme Elizabeth Bourrel, Bernard Diette, Patrice Lheureux, Marie-Noëlle Véran, Sébastien Cote, Luc Verrier et tant d'autres sont pour moi les noms des personnes auxquelles je dois ma vocation et une profusion de richesses que nul ne peut dérober, Samuel Paty sera, pour les enfants qui ont eu la chance de croiser ta route, celui d'un homme dont l'existence était guidée par le souci de les rendre maîtres de la leur. 




mardi 6 octobre 2020

Les Amis du théâtre "Les Rostand"

 


Spectacle LES ROSTAND

Biographie théâtrale de Philippe Bulinge

Mise en scène de Maude et Philippe Bulinge

Production : Compagnie INTERSIGNES

Le Colisée, jeudi 15 et vendredi 16 octobre 2020 , 20 H 30

Cyrano de Bergerac, au panache flamboyant, est devenu le héros le plus populaire du théâtre français voire mondial, depuis son apparition triomphante sur la scène parisienne, un fameux soir de décembre 1897. Mais la célébrité du personnage n’a-t-elle pas porté ombrage à la vie et à l’œuvre de son créateur, le poète et dramaturge Edmond Rostand ?

Excepté les spécialistes et admirateurs de ses différentes productions, les critiques dramatiques et les familiers d’ Arnaga sa demeure néo-basque à Cambo, le grand public contemporain ne se passionne guère pour la vie et l’œuvre de l’écrivain. C’est pourquoi Philippe Bulinge, directeur artisque de la Compagnie INTERSIGNES, a entrepris dès 2015, de réhabiliter l’artiste sous-estimé, Edmond Rostand n’étant pas l’auteur d’une seule pièce, aussi fabuleuse et inouïe soit-elle.

Edmond Rostand ou la malédiction de la gloire

Les ambitions littéraires d ’Edmond Rostand se manifestent dès l’âge de 20 ans, en 1888, mais sans succés jusqu’en 1895 : après les échecs cruels d’une première pièce et d’un premier recueil de poésie, il obtient enfin un succès d’estime à la Comédie-Française avec Les Romanesques. Il gagne ensuite la confiance admirative de la grande Sarah Bernhardt qui va briller dans ses deux nouvelles pièces, La Princesse lointaine et La Samaritaine, jusqu’en avril 1897.

Mais rien ne pouvait préparer le jeune auteur de 29 ans au succès fracassant, aussi inespéré que vertigineux, de Cyrano de Bergerac. Le soir du 28 décembre 1897, les spectateurs en délire applaudissent pendant plus d’une heure, et l’auteur, abasourdi, reçoit la Légion d’Honneur, séance tenante ! Ce triomphe fulgurant éblouira toute la France – y compris Biarritz en 1900 – et même le monde entier car la pièce sera traduite et jouée dans toutes les langues.

Pourtant, Rostand lui-même, torturé depuis toujours par les affres de la création, pétri de doutes sur la qualité de son travail d’auteur et de metteur en scène, s’était cru responsable d’un four : la veille même de la « première »,  il demandait pardon à Constant Coquelin, son ami et comédien vedette « de l’avoir entraîné dans cette désastreuse aventure ».

C’était sans compter sur Rosemonde Gérard, son épouse depuis 1890. Poétesse honorée officiellement à la parution de son recueil Les Pipeaux en 1889, elle avait renoncé à une carrière artistique personnelle par amour et portée par une foi inconditionnelle dans le génie de son mari. Déjà mère de leurs deux garçons, Maurice et Jean, elle consacre son énergie, depuis longtemps , à l’assistance et à la protection artistiques d’un époux aussi ambitieux que dépressif. Sans sa patiente et lucide vigilance, combien de fameuses pages écrites puis jetées à la corbeille, auraient été perdues ? Et qui d’autre qu’elle – ayant assisté à toutes les répétitions de Cyrano – pouvait remplacer « à l’improvisade »,la comédienne défaillante le soir de la « générale », dans le rôle de Roxane ? Jusqu’à la mort prématurée d’Edmond en décembre 1918, à 50 ans, victime de la grippe espagnole à Paris, elle fut plus que sa muse, une véritable « Secrétaire de Direction artistique », dévouée, infatigable, irremplaçable pour accompagner et sauver la création de L’Aiglon et surtout de Chantecler, depuis leur retraite de Cambo.

Mais les lendemains de triomphe sont souvent pervers. Comment renouveler le miracle accompli ? Comment prolonger le rêve exaucé ? Comment être à la hauteur de l’attente frénétique d’un public critique et populaire qui réclame de nouvelles pièces ? La maladie des poumons contractée pendant les répétitions de L’Aiglon fragilise encore plus Rostand qui doit s’installer à Cambo pour y poursuivre sa convalescence.

La guérison suivie de la superbe aventure de la construction d’Arnaga, puis la prestigieuse élection à L’Académie Française en 1903, ne l’aideront pourtant pas à dépasser ses angoisses devant le défi de l’écriture. Il lui faudra 10 ans pour écrire Chantecler dont l’échec critique le plonge dans une double crise : il ne terminera pas de nouvelles pièces et le couple usé par des relations tumultueuses se sépare définitivement, sans divorcer, en 1910.



Le couple Rostand à l’épreuve de la création dramatique

Tel est le sujet de la pièce de Philippe Bulinge : cet universitaire lyonnais et chercheur en Lettres Modernes, redécouvre, il y a plus de 15 ans, l’intérêt et les secrets de l’œuvre d’Edmond Rostand. Grâce à un travail patient et approfondi sur les archives de la Villa Arnaga, il retrouve les manuscrits oubliés de la dernière pièce rostandienne, la traduction mise en alexandrins du Faust de Goethe. Une reconstitution minutieuse lui permet alors de publier en 2007, l’intégralité de la pièce abandonnée par l’écrivain. Devenu un spécialiste de Rostand il avait déjà organisé en juin 2006, le premier colloque international orienté vers La Renaissance d’une œuvre, dans le cadre de la Villa Arnaga.

Parallèlement, dès 2004, Philippe Bulinge a fondé avec Maude son épouse chorégraphe, la Cie INTERSIGNES dont il assure la direction artistique par l’écriture et la mise en scène. Après avoir joué avec succès en France le Faust reconstitué, il entre en 2015, dans l’intimité du couple de poètes en créant Les Rostand, « l’histoire d’un couple qui se construit et se détruit autour de l’acte d’écriture et de ses difficultés. » La réussite parisienne de ce projet, aussi documenté que passionnant et incarné par deux comédiens talentueux, lui vaut l’honneur de participer officiellement au Festival Edmond Rostand 2018, commémoration nationale du 150ème anniversaire de la naissance du poète et du 100ème de sa mort. Autre belle récompense, le choix, par le Réseau Européen des Théâtres de Verdure, de ce spectacle pour une tournée en Nouvelle Aquitaine ; d’où la brillante représentation dans les jardins d’Arnaga, le 19 juillet 2019.

L’écriture de Philippe Bulinge n’adopte pas la linéarité narrative : elle fait revivre une relation passionnée et tumultueuse par des tableaux successifs évoquant les épisodes-clefs de la vie du couple et de la carrière du dramaturge. C’est aussi l’occasion d’entendre quelques tirades célèbres emblématiques et même un échantillon de la poésie méconnue de Rosemonde

Maude Bulinge a collaboré à une mise en scène sobre et astucieuse, dynamisée par deux comédiens excellents : Charlotte Michelin remarquable de finesse, d’émotion et de conviction dans le rôle de Rosemonde ; Vincent Arnaud, un Edmond aussi colérique qu’exalté, tourmenté de doutes et très injuste à l’égard de celle qui le sauve du pire, de l’autodestruction.

Depuis 2004, la Cie INTERSIGNES a créé avec succès une dizaine de pièces.

La reconnaissance de la critique

Dès 2017, Télérama signale l’attrait et les qualités du spectacle Les Rostand :

«  Quelle bonne idée de faire revivre ce couple d’écrivains ! (…) On découvre les angoisses d’écriture d’Edmond, son amour du théâtre et surtout l’amour de sa vie, sa femme. (…) Les deux comédiens très bons nous font redécouvrir un poète que nous ne connaissons plus très bien. »

D’autres critiques confirment :

« Cette pièce est un véritable hymne à la poésie et au théâtre. On y découvre les affres de la création et les difficultés d’un amour partagé entre deux êtres qui se complètent au point de s’étouffer mutuellement. »

Théâtre contemporain.net

« Le couple célèbre se révèle dans toute son opposition de tempéraments, par le jeu incarné de Vincent Arnaud en Edmond cyclothymique et de Charlotte Michelin à l’amour et le dévouement sans faille. »

Froggy’s delight

Il nous reste à souhaiter que le plaisir individuel et collectif de notre retour en salle de Théâtre ne sera pas compromis par le retour intempestif du Covid 19 …

Nicole LOUIS