Par EMMANUEL PLANES


Roland Barthes a passé son enfance et ses vacances d’adolescent à Bayonne, et longtemps séjourné à Urt où il repose auprès de sa mère.
Les traces de Roland Barthes en Pays basque, c’est d’abord à Bayonne qu’il faut les chercher. En 1916, à la mort de Louis Barthes, son père, officier de marine tué dans un combat naval, Henriette Barthes, sa mère, s’installe avec la grand-mère paternelle et sa fille Alice dans une maison avec un grand jardin, reste d’une ancienne corderie, située au coin des allées Paulmy et de l’avenue de la Légion tchèque : la maison Lanne, disparue depuis longtemps.
En 1924, le jeune Roland part vivre à Paris, mais il continue à passer ses vacances scolaires à Bayonne, chez ses grands-parents. Et Bayonne, bien des années après, restera pour l’auteur de « Mythologies » le symbole d’un paradis perdu, celui de l’enfance. « Roland Barthes par Roland Barthes » (Seuil, 1 975) témoigne de cette nostalgie, tout comme « La lumière du Sud-Ouest », superbe texte paru pour la première fois dans « l’Humanité » en 1977, et plusieurs fois réédité.
En 1939, le recteur de l’académie de Bordeaux affecte Roland Barthes « à titre précaire et provisoire » au nouveau lycée de Biarritz. Professeur de 4e et 3e, il n’y enseigne que le temps d’une année scolaire mais laissera une profonde empreinte sur ses élèves parmi lesquels le docteur Charles Dumora, ancien élu biarrot.
En toute tranquillité
Puis vint l’époque des séjours à Urt. Dans les années 60, Henriette Barthes trouvait sa villa Etchetoa, à Hendaye, en bord de mer, cernée par les touristes. Elle décide de s’en débarrasser et d’acheter la maison Carboué, à Urt. C’est là qu’à partir de 1968, l’écrivain et sémiologue passera tous les étés et les vacances scolaires, lisant, écrivant, travaillant, écoutant de la musique, en toute tranquillité, et selon un emploi du temps très réglé, loin de l’agitation parisienne.
Septuagénaire courtois et distingué, au visage orné d’une fine barbiche, le docteur Michel Lepoivre a été médecin généraliste à Urt de 1963 à 1994. Il habitait dans une belle maison à deux étages située au bord de l’Adour, très exactement à l’endroit où le fleuve forme un coude. Il devint le médecin d’Henriette Barthes, puis de Roland, et l’ami de ce dernier.
Piano et violon
Tous deux avaient notamment en commun l’amour de la musique. Et, de temps en temps, ils interprétaient des duos : l’auteur de « Fragments d’un discours amoureux » jouait du piano, sur le Pleyel qui trône toujours dans la maison au bord du fleuve, et le docteur Lepoivre du violon, instrument qu’il pratique depuis l’âge de 10 ans. « On jouait des sonates de Mozart, des sonatines de Schubert… »
Le docteur Lepoivre recevait fréquemment l’écrivain chez lui, pour le dîner ou le thé. « Je pense qu’il se trouvait bien ici, car il y régnait une atmosphère bine différente de celle des chapelles littéraires parisiennes. Il y respirait un parfum de bourgeoisie provinciale qu’au fond, il aimait : un père de famille, un mère, trois jeunes filles, tout ce qu’il n’avait pas… »
De Roland Barthes qu’il revoit encore vêtu d’un « bleu de chauffe » ou portant, l’hiver, un cache-col rouge qu’une de leurs amies lui avait tricotée, le docteur Lepoivre parle avec une admiration et une sympathie que les années n’ont pas altérées. « C’était un homme simple, sans arrogance, n’ayant même pas le goût de la compétition. Il était tout en nuances, en délicatesse ».
Après la mort de sa mère adorée, en 1977, Roland Barthes n’était plus le même. « Je marine », disait-il souvent à son médecin. Il ne lui a survécu que trois ans et tous deux reposent à Urt, sous la même tombe, très simple, sans fioritures. Protestante, comme l’était Henriette Barthes. Le docteur Lepoivre continue à veiller sur cette tombe, proche de celle de sa propre épouse, à la fleurir. Il y a trois ans, avec un universitaire polonais, ils ont procédé à un grand nettoyage, car les lettres inscrites sur la tombe des Barthes commençaient à s’effacer. À Urt, où la bibliothèque porte son nom, tout comme à Bayonne ou Anglet, Roland Barthes n’est pas encore oublié.