Spectacle
UNE MAISON
DE POUPEE
drame bourgeois
de Henrik
Ibsen
Traduction de Régis
Boyer
Adaptation et mise en scène de Philippe
Person
Gare du Midi, jeudi 10 janvier 2019 à 20 h 30
Une
Maison de poupée…, une parmi bien d’autres, à
cette époque, en 1879, quand le dramaturge norvégien Henrik
Ibsen écrivit cette pièce,
d’ailleurs inspirée d’un fait réel : la véritable
première « petite alouette »,
c’est une jeune amie de l’auteur dont l’amour et les ailes
furent brisés par un mari tout puissant.
Le drame bourgeois d’Ibsen
fit scandale à sa création au Théâtre Royal de Copenhague, tant
la dénonciation des rapports entre les sexes et de la place de la
femme dans la société y est représentée avec virulence. Sa portée
fut telle que, malgré leur succès – ou à cause de lui – les
premières représentations subirent la censure dans plusieurs pays
d’Europe ; une actrice allemande refusa même de jouer le
rôle, si l’auteur ne modifiait pas la fin ! En France la
création eut lieu en 1894 au Théâtre du Vaudeville avec Réjane
dans le rôle de Nora.
S’exiler pour dénoncer l’ordre bourgeois
Henrik
Ibsen, (1868-1906), l’aîné de cinq enfants, quitte sa
famille bourgeoise protestante, ruinée par la faillite du père,
pour devenir poète dilettante à 20 ans ; puis en 1850, il
aborde difficilement l’écriture dramatique avec des sujets
historiques ou populaires scandinaves, en collaborant avec le Théâtre
National de Bergen. Revenu à Christiana (le futur Oslo),
marié et père de famille, il prend la direction du Théâtre de la
capitale mais son incompétence de gestionnaire l’oblige à
démissionner au bout de sept ans et entraîne la fermeture du
théâtre en 1862. Malgré le vif succès d’une nouvelle pièce en
forme d’apologie de la nation, il décide de quitter la Norvège,
souffrant du manque de reconnaissance et de soutien officiels.
Il s’exile en effet durant 27
ans ! Pour une longue pérégrination en Europe, marquée par
différents séjours au Danemark, en Allemagne ou en Italie, sous
forme d’allers et retours. La plupart des pièces de cette période
manifestent un tournant vers un réalisme social, contestataire de
l’ordre établi par la « double morale »
bourgeoise : tolérante pour les hommes, intransigeante pour
les femmes. « Le drame ibsénien, c’est un peu
la tragédie grecque qui se démocratise et qui frappe la famille
bourgeoise », écrit le philosophe Michel Meyer. Une
Maison de poupée publiée en 1879 en Italie,
fait partie de cette veine qui compte une huitaine de pièces
jusqu’en 1890, date de publication de Hedda Gabler.
Son prestige est désormais international et malgré de récurrentes
polémiques, ses pièces sont montées dans la plupart des capitales
européennes.
En 1890, son retour triomphal en
Norvège confirme enfin sa gloire littéraire dans son propre pays.
Installé à Christiana , il écrit avec succès quatre pièces
nouvelles ; mais frappé d’apoplexie en 1900, il ne pourra
plus écrire jusqu’à sa mort survenue en 1906.
« Henrik
Ibsen est sans nul doute le plus grand des
dramaturges scandinaves, dont les œuvres loin d’être plombées
par les particularismes locaux, parlent à toute la société
occidentale », soutient Christophe Barbier dans son
Dictionnaire amoureux du Théâtre
Une intrigue subversive
Pourquoi Nora Helmer,
jeune mère au foyer de trois enfants est-elle si enjouée, voire
excitée, en cette veille de Noël, dans sa maison bourgeoise ?
La fête traditionnelle n’est qu’un prétexte. C’est d’argent
qu’il s’agit le plus souvent dans son esprit, de celui que va
rapporter la prochaine nomination de son mari, Torvald, comme
directeur de banque, à partir du Nouvel An : argent à gagner,
à réclamer, à économiser, à emprunter, il est toujours question
d’argent entre les deux époux et même avec des visiteurs amis.
Nora, « la petite alouette »,
« l’étourneau mignon »
selon les termes de Torvald ou « la
femme enfant » selon son amie Mme Linde,
n’aurait-elle que des préoccupations matérialistes ?
L’arrivée inopinée de M.
Krogstad va soudain donner la clé de cette obsession, en faisant
chanter « le petit oiseau
chanteur » sur un
ton bien plus grave : il menace Nora de révéler à son
mari, le lourd secret qui fait d’elle sa débitrice depuis
plusieurs années. Cette emprise angoissante déclenche alors un
choc psychologique qui va transformer sournoisement mais
radicalement, l’épouse aimante et soumise, la mère attentionnée,
la mondaine coquette et gaie, en femme à la conquête de sa
véritable identité, de sa dignité d’adulte affranchie de la
tutelle maritale. Pour cette « épouse-poupée »,
s’opère, au cours des actes II et III,
une révolution douloureuse et solitaire masquée par
un comportement apparemment frivole, avant le dénouement subversif
qui a indigné la société patriarcale européenne de la fin du
XIXème siècle.
Un hymne à la libération de Nora
Telle est l’intention de
Philippe Person, le metteur en
scène qui, à partir du texte intégral traduit par Régis
Boyer, a monté la pièce dans une version allégée, supprimant,
entre autres, un personnage secondaire, le docteur Rank :
« C’est parce qu’elle est
parfaitement universelle que cette pièce ne nous sort plus de
l’esprit. (…) Il ya aussi les dialogues parfaits, simples et
justes d’Ibsen.
La mise en
scène suit Nora, ses pensées et ses actes, comme un plan-séquence
au cinéma. Le spectacle passe d’une atmosphère joyeuse de Noël
au climat angoissant dû à l’apparition d’un maître-chanteur.
Alors se déclenche un compte à rebours de trois jours qui verront
basculer la vie de Nora. Comme un film pourrait passer de la couleur
au noir et blanc, dès le deuxième acte, les ambiances deviennent
pesantes puis angoissantes. »
Benoît Lavigne, le
directeur actuel du théâtre du Lucernaire, ajoute ce
commentaire : « S’inspirant d’Hitchcock,
Philippe Person construit son spectacle comme un huis clos
anxiogène et étouffant qui finira par voler en éclats. »
Nous connaissons depuis des
années Philippe Person qui a
lui-même dirigé Le Lucernaire à Paris et fondé une
Compagnie qui nous a déjà donné plusieurs spectacles : nous
le retrouvons ici dans le rôle du maître-chanteur Kronstag ,
ainsi que Florence Le Corre que
nous avons admirée dans le rôle de Marie Tudor de V. Hugo . Avec
Philippe Calvario qui joue
Torvald et Nathalie Lucas,
Mme Linde, nous découvrirons des talents reconnus dans le
métie,r depuis une dizaine d’années.
L’approbation de la critique
« Florence
Le Corre est une excellente Nora, traduisant avec
sûreté et de façon graduée le chemin qui va de la gentillesse
inconsciente à une lucidité inébranlable. » G. Costaz,
WebThéâtre
« Nous avons été conquis par
l’interprétation de Florence Le
Corre d’une délicatesse, une justesse
impressionnantes ! Cette jolie boule de cristal illumine ses
partenaires, Philippe Person,
excellent en maître- chanteur mordant et vénéneux, Philippe
Calvario à mi-chemin entre le mari m’as-tu-vu et
le pauvre type et Nathalie Lucas
qui joue avec finesse, l’amie réfléchie et bienveillante. »
E. Tran, Le Monde.fr
Cette pièce qui a été aussitôt
qualifiée de « féministe », avec ou sans mépris,
défend certainement, l’émancipation des femmes dans une société
européenne qui les traite encore en mineures. Mais le discours
d’Ibsen porte encore plus loin.
Ce qui est refusé à Nora, « l’alouette »,
c’est d’être une personne humaine avec du libre-arbitre pour
donner un sens individuel à son destin.
Nicole
LOUIS
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