Au sujet de l'œuvre de Michel Haramboure
Les
enfants aiment coller des posters dans leur chambre. Ils recomposent
leur album de famille en affichant aux murs les héros qu'ils
admirent et rêvent d'avoir pour amis ou compagnons de vie. Ces
derniers leur soufflent que la vie est ailleurs, plus grande, plus
intense, plus dangereuse. La chambre devient alors une caverne et les
images tendues sur les parois, des symboles magiques censés
favoriser la chasse au vrai monde. Changer de famille et changer le
réel, c'est l'affaire de toute enfance (de toute vie ?).
Manuel
Haramboure est un enfant prolongé, autant dire un vivant prolongé.
Le cas est rare car la vie fait peur et seul un enfant, inconscient,
a la force et la naïveté de partir à son assaut. Il dit les choses
quand les adultes les taisent, alors on l'envoie dans sa chambre. Le
peintre passe lui aussi du temps dans sa chambre, mais celle-ci, de
temps à autre, est ouverte au public, on appelle ça une exposition.
Là, se tiennent, couchées sur des toiles, les visions de l'artiste,
autant de cartes rapportées de ses voyages hallucinés au pays du
réel.
L'âme
de l'enfant est tourmentée, on le sait, au moins depuis Freud. Celle
de Manuel Haramboure aussi. On reconnaît un peintre à ses taches,
celles qu'il fait sur ses tableaux, reflets de celles qui maculent
ses vêtements et sa conscience. « À
moitié victime, à moitié complice, comme tout le monde »
(Sartre). Il ne maquille pas, il n'esquive pas, il montre. Suant,
hirsute, dérisoire, il accomplit sa besogne de pauvre. Tandis que
les images se disputent le réel, il se bagarre pour recueillir et
projeter les signes d'un réel qui a le sens du tragique, tissé des
intrigues inextricables du mal, du désir et du bien.
Un
créateur est toujours violent. Sinon c'est un faiseur, ou un
enjoliveur, peut-être la pire espèce, la plus vaine : « il
n'y a plus rien à enjoliver, dans une société et dans un monde où
tout est constamment enjolivé de la manière la plus répugnante »
(T. Bernhard). On croit d'habitude que l'artiste se réfugie dans la
fiction quand les « gens sérieux » se rapportent aux
faits. C'est l'inverse. Les « gens sérieux » se
complaisent dans la comédie humaine et tiennent leur emploi du mieux
qu'ils peuvent, en donnant le change des apparences. L'artiste, lui,
refuse de participer à cette parade ; il se réfugie dans le
réel, il ne veut pas le laisser filer ou se dissoudre sous les feux
du mensonge. La cruauté et la violence sont l'envers de toute vie ;
la beauté aussi.
Ceux
qui ont eu le courage d'explorer cette face cachée sont fascinants.
Ils sont portés par une force étrange qui les jette vers le péril,
en un point où puissances de vie et puissances de mort se répondent.
Le plus souvent, ils se perdent dans ce périple infernal. Manuel
Haramboure relève les traces de ces itinéraires improbables, il
tire le portrait de ces monstres d'humanité. Ses tableaux disent le
défi possible, une forme de panache, de noblesse, sans illusion,
face à une vie rude, face à une histoire féroce, promises toutes
deux à un tranquille désastre.
L'enfant
dit : « le roi est nu », mais devenu artiste, on ne
le punit plus ; tout au contraire, c'est nous qui le rejoignons
dans sa chambre. Ces héros noirs qu'il célèbre, cette violence
qu'il met en scène, ces abîmes intimes qu'il dessine, dressent le
décor de nos existences et creusent dans l'âme le sillage sombre
d'un combat lumineux. Nous rêvons d'en découdre.
Christophe
Lamoure, mars 2013.
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