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CumEx files : les
cinq leçons d’un scandale fiscal
19/10/2018
Christian
Chavagneux Editorialiste
De ces nouvelles révélations, on peut tirer cinq leçons importantes pour lutter contre ces pratiques qui minent les démocraties.
1/ La fraude fiscale est d’abord un phénomène juridique
La fraude fiscale met en jeu des transferts fictifs de droits de propriété
Les paradis fiscaux servent à frauder les administrations fiscales parce que, usant de leur souveraineté étatique, ils rédigent des lois qui autorisent ces transferts fictifs de droits de propriété. Les montages révélés par les CumEx files n’impliquent pas explicitement des paradis fiscaux, mais ils utilisent des techniques juridico-financières pour brouiller l’identité de détenteurs d’actions recevant des dividendes. Les économistes sont utiles pour comprendre la fraude fiscale, mais il faut des également des juristes – des économistes formés au droit ou des juristes formés à l’économie, une denrée rare avec les parcours spécialisés des différentes disciplines – pour forger les armes antifraude.
2/ Les intermédiaires jouent un rôle clé
Encore une fois, les CumEx files montrent que la fraude fiscale ne s’étend que grâce à un ensemble de professionnels de la finance, du droit et du chiffre. Avocats et banquiers sont pointés du doigt – BNP, Société générale et Crédit agricole dans le cas français, sans oublier l’inénarrable Deutsche Bank, qui ne sera décidément passée à côté d’aucun comportement gris –, mais sont rarement sanctionnés.Avocats et banquiers sont pointés du doigt mais rarement sanctionnés
3/ Les innovations financières sont des armes d’opacité
Les innovations financières prennent la forme de nouveaux produits, de nouveaux acteurs ou de nouvelles règles. Dans tous les cas, elles jouent un rôle très ambivalent. Lorsque les financiers inventent le livret d’épargne, la carte à puce ou le distributeur de billets de banque, ils font un travail utile, contrôlé et ne produisant pas de risques tels qu’ils puissent être sources de crise financière. En revanche, les innovations financières des vingt dernières années ont présenté trois caractéristiques nuisibles.La première est d’être des armes de concurrence massive. Elles sont inventées et mises en œuvre d’abord et avant tout pour gagner un avantage sur les concurrents. Elles sont l’outil d’un jeu à somme nulle qui sert en premier lieu à des transferts de revenus.
L’une des caractéristiques des innovations financières est d’offrir des services de contournement réglementaire, légal ou fiscal
La troisième repose sur leur capacité à offrir des services de contournement réglementaire, légal ou fiscal. C’est justement ce à quoi ont servi les « inventions » des pratiques CumEx, dont l’enquête nous dit qu’elles proviennent à l’origine de Hanno Berger, un ancien haut fonctionnaire du fisc allemand et contrôleur de la Bourse et des banques…
Une finance saine, transparente et fiscalement irréprochable réclame une supervision intrusive des innovations financières.
4/ Optimisation et fraude ont des frontières floues
« L’arbitrage de dividendes » consiste à prêter ses actions à une banque juste avant de toucher les dividendes, puis les récupérer après, dividendes inclus mais sans avoir à payer d’impôts dessus . Les CumEx Files nous révèle qu’il s’agit d’une pratique d’optimisation fiscale plutôt répandue, moinsen France que dans d’autres pays européens, mais qui nous fait perdre tout de même, selon l’estimation du Monde, 3 milliards de recettes fiscales par an.
Rien d’illégal ? Le fisc français le dira, Gérald Darmanin ayant promis d’être « intraitable »
Rien d’illégal ? Le fisc français le dira, Gérald Darmanin, le ministre des Comptes publics ayant promis des vérifications et d’être « intraitable » sur le sujet. Et s’ils étaient privés de cette manne fiscale, les investisseurs étrangers vendraient-ils leurs actions du CAC ?
5/ Le chacun pour soi des Etats
Depuis la crise démarrée en 2007-2008, les Etats coopèrent par l’intermédiaire de l’OCDE pour remettre en cause les pratiques fiscalement dommageables des acteurs privés. Mais la tentation du chacun pour soi est toujours là. Elle a empêché pour l’instant l’OCDE d’arriver à un compromis sur la taxation des entreprises du numérique, ainsi que sur la remise en cause totale des pratiques fiscales douteuses des multinationales, faute d’accord sur qui pourrait récupérer la base taxable perdue jusqu’alors.Si on peut récupérer de l’argent sur le dos des autres, allons-y !
Il faudra sûrement encore d’autres scandales, d’autres révélations et d’autres indignations pour aller jusqu’au bout de lutte entamée ces dernières années contre l’évitement fiscal. Les journalistes et les organisations non gouvernementales (ONG), organisés de manière mondialisée comme les pratiques qu’ils combattent, y auront largement contribué.
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